Réveil difficultueux, et
bien qu'il semble que plus me repose plus carcasse rouspète ou
peine, et comme en grand désir était, même si pour cela il fallait
prendre navette et découvrir la salle de Védène, de voir Place
des Héros dans la mise en scène
de Krystian Lupa (4
heures 10 en fait un peu plus), sortir pour m'aider ma robe préférée, sage, légère.. et
vaquer sagement dans l'antre, lentement, préparer un repas assez tôt
pour laisser un peu de temps avant de partir, à une heure où
d'ordinaire je ne pense pas encore cuisine,
vers
la gare routière, en belle forte chaleur montante, et splendide
lumière écrasant les zones arides, noircissant les rares trajets
ombreux, vers la gare routière,
attendre
un peu et prendre la première navette, à quatorze heures…
découvrir
le lieu, craindre la clim qui a été réparée depuis hier (savais
que la veille elle était d'une discrétion absolue), renouer avec le
plaisir des échanges détendus et discrets après la morgue de la
veille, et trouver une place au premier rang entre un homme et une
femme de mon âge, très sympathiques, (et qui se sont révélés des
personnages peu à peu quand deux ou trois jeunes, ou presque, liés
à un titre ou un autre au théâtre, sont venus leur parler un peu,
avec un respect familier pour l'une, en sollicitant un rendez-vous de
l'autre) ne sais qui ils étaient, je sais simplement que j'avais le
confort d'être entourée de deux intelligences, et deux
intelligences que je sentais heureuses de ce qu'elles voyaient... ce
qui es l'idéal pour apprécier, ou pour ne pas apprécier, mais
librement (en fait me suis allée, comme je le découvre ce soir, au
plaisir total de l'intelligence et de la beauté de ce que voyais –
pour le texte j'en avais la certitude même si assez floue, parce que
c'est par cette pièce qu'en 1991, tardivement, dans une mise en
scène qui ne m'avait pas frappée – le texte, si – de Lavelli au
Théâtre de la Colline que j'ai fait connaissance avec l'oeuvre de
Bernhard, dont je ne connaissais alors rien.
Photo
Christophe Raynaud de Lage
je
reprends le texte du programme du festival
15 mars 1938, place des
Héros : les Viennois acclament Hitler qui a envahi l'Autriche. Le
professeur Schuster, un mélomane à la fois tyrannique, raffiné et
révolté, s'exile alors à Oxford. Dix ans ont passé quand il
revient « par amour de la musique ». Mais sa femme Hedwige, hantée
par la ferveur avec laquelle son pays a accueilli l'occupation, les
pousse à retourner vivre en Angleterre. La veille de leur départ,
alors que les malles sont prêtes, que le précieux piano Bösendorfer
est déjà expédié, Schuster se suicide sur la place des Héros...
Écrite en pleine affaire Kurt Waldheim (Premier ministre élu malgré
son passé nazi) et traitant de l'Anschluß dans une langue véhémente
et presque brutale, Place des héros provoque un véritable scandale
politique avant même que le texte ne soit joué et publié en 1989.
Après Des Arbres à abattre, unanimement salué l'année dernière
au Festival, le metteur en scène polonais monte aujourd'hui avec les
acteurs du Théâtre national de Vilnius cette ultime provocation de
Thomas Bernhard, dernière pièce de son Théâtre de l'irritation
qui cherche « la part de vérité contenu dans tout mensonge ».
Ensemble, ils explorent les possibilités d'un temps suspendu entre
le monde des vivants et des morts dans un fascinant rapport à la
persistance de la pensée. Euh
je dirais qu'il s'agit aussi de l'abêtissement de notre monde (pas
spécifique à l'Autriche, même si c'est la cible de Bernhard, de la
dérive du socialisme, de la montée de l'antisémitisme, ou surtout
actuellement du racisme en général)
une
grande pièce des chaussures en nombre et une servante qui les
nettoie, deux armoires destinées au départ mais où se trouvent
encore vêtements et chemises -, les chemises que va repasser Madame
Zittel (excellente actrice dont j'ignore le nom.. ils sont tous bons
mais les deux rôles saillants sont le sien, et celui du frère,
l'oncle Robert), la gouvernante, celle dont les filles diront qu'elle
avait plus d'importance leur mère, que leur père lui parlait
d'avantage, l'ayant façonnée, ayant dicté ses lectures, lui ayant
transmis ses convictions, et elle parle de lui, surtout, dresse le
portrait d'un homme intransigeant mais d'une intelligence diabolique,
qui décapait la société, qui recherchait toujours la vérité.
Premier
entracte, plaisir de se sentir presque en pleine forme, et tentative
infructueuse d'obtenir un café.. et la
deuxième partie, la plus forte sans doute, où l'oncle Robert et ses
deux nièces (la silencieuse, touchante, et celle qui porte les
décisions, qui subit l'ambiance dégradée de l'université)
attendent à côté du cimetière (les trois murs sont des toiles sir
lesquelles sont projetées, on croirait que ce sont des toiles
peintes, des images évoquant un parc brumeux) l'heure du repas
préparé par Madame Zittel pendant que leur frère raccompagne son
amie actrice (fortement désapprouvée) et sa mère, et là ce sont
de grandes tirades, entrecoupées d'échanges, de l'oncle (avec la
verve, le style facilement cruel de Bernhard) résolu, faute d'avoir
le courage de se suicider comme son frère (qu'il estime plus
philosophe que lui qui est justement professeur de cette matière) à
s'enterrer vivant dans un village, parce qu'il n'est plus possible de
tolérer ce que devient la société (résumé bien imparfait, mais
tete qui sonne terriblement d'actualité, sur la maladie de l'Europe)
– et les acteurs, leurs rares déplacements, l'éclairage, tout
contribue au sens... après leur départ, un bref moment, les arbres
font place à un grand cimetière et l'emplacement qui était l'une
des fenêtres de la salle au premier acte devient un grand panneau où
s'écrit en lettres lumineuses un texte hébreux qu'étais bien
entendu incapable de déchiffrer..
second
entracte (le troisième café servi, l'a été pour moi) à l'heure où les ombres
s'allongent où la chaleur devient plaisir pur
deux
photos de D.Matvejevas
et la
dernière partie, l'attente de la mère et de son fils, le dîner (et
peu à peu les positions des personnages sont celles de la Cène de
Vinci)
saluts...
Krystian Lupa en short et polo rouge débusqué et forcé de venir
saluer,
applaudissements
fournis et chaleureux
et
retour, navette, puis, en marchant le long des remparts pour rejoindre la rue Saint
Charles pensais suis si bien devrais aller voir autre chose...
arrivée
sur ma place, arroser, faire cuire patates, commencer ce qui précède
tant bien que mal, voir l'heure, me dire que non, économiser petite
vieille.. d'autant que la journée de demain est en principe assez
riche et rude.
PS
trouve ce soir un article, portant d'ailleurs davantage sur le
travail de Lupa en général de mon cher George Banu
http://www.telerama.fr/scenes/avignon-krystian-lupa-ou-le-combat-des-corps-et-des-mots,144812.php
4 commentaires:
Décidément, une certaine période autrichienne est diablement présente sur les planches...
Le nazisme (ou le totalitarisme de la pensée) en représentation continue, certes en miroir : de quoi se changer les idées ?
mais ce que vise Bernhard et en écho ce que nous vivons c'est la résurgence du nazisme, la fin des illusions, la monté de l'inculture et des racismes
je pense à ma professeur d'histoire au lycée, Mme Barbara Hagemeister, née en 1941 près de Hamburg, qui nous a enseigné la montée du nazisme à travers les textes antisémitiques de 1870 à 1930, pendant toute une année, qui nous a emmené voir le camp de Lidice... elle s'est dépensée, nous a secoué, bande d'ado "bof"
et puis tout à coup le monstre est là, gueule grande ouverte, et la honte avec.
Légèreté de la robe, légèreté de l'esprit, on vous suit, on vous lit, on épluche les pommes de terre avec vous, mais dîtes moi, c'est presque un transfert cette histoire. Vous nous avez marabouté.
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