Parce que c'était, je
crois, notre dernier jour de presque vraie chaleur - au dessus de 30°
- parce que le ciel était beau, bleu bien sûr bleu, mais pas
violemment, pas violet, et avec de petits voiles errants sur ce bleu,
parce que le soleil me quitte, même sur la pointe des pieds et
collée au mur, vers seize heures, m'en suis allée après le
déjeuner pour, après une ou deux petites courses, m'installer dans
le très calme square Agricol Perdiguier (yeux levés vers le bleu
quand n'étaient pas dans le livre posé sur mes genoux, mais buste
et tête sagement à l'ombre), avec Noë de Giono (mon préféré
je crois.. comme chez Cendrars c'est Bourlinguer, deux livres
sans grand rapport mais que j'ai toujours associés)..
Parce qu'en lisant, lundi,
l'énoncé de la dernière proposition de François Bon pour
l'atelier d'été du Tiers Livre back to basics – 9 - «entrer
dans des maisons inconnues»
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4363
une maison a surgi, avec une
autorité timide – ce qui m'a permis de la repousser, elle ne
conviendrait pas je pense au collectif si je participe ce qui est
encore douteux -, dans ma mémoire, ma
maison (nous en avions tous une élue sur le trajet que nous saluions
en choeur au passage, celles des autres étaient plus récentes, plus
confortables), une presque ruine, une idée de maison, dans un valon
qui semblait humide sous d'énormes et très anciens platanes qui la
cachaient, la dominaient, après lui avoir dessiné une allée la
reliant à la route du Cap Brun – a été bien transformée depuis
cette route, la maison n'existe plus, et le terrain a changé
d'aspect, et puis il y a l'autoroute, on ne prend plus guère la
tortillante route – qui décrivait une courbe pour respecter son
terrain, avant de continuer et de nous amener au Palyvestre, aux
blockaus près de la base, là où peu à peu on a construit, prenant
en partie sur l'eau, un port, avec plusieurs bassins, nous avons vu
se créer le premier et étions, avec nos amis de la base, – ou mon père était, mais sans bateau – parmi les premiers membres du
club nautique. C'étaient un petit cabanon et une longue barraque
perpendiculaire à la route, de plein pied, presque une étable –
mais avec des fenêtres, ou c'est moi qui les dessinais, parce que
pendant plusieurs années, à l'heure de me plonger dans les bouquins
qui m'ennuyaient, la géographie ou la physique ou la chimie – chez
les nonnes la physique et la chimie ça n'avait lieu que dans les
livres – ou l'anglais, je dessinais le plan de la maison, et je la
meublais, avec cheminées et gros fauteuils recouverts de lainages
écossais pour tenir compte de l'humidité... je dessinais aussi des
robes pour Scarlett O'Hara mais c'est sans rapport.
Et
puis comme à la fin François Bon parle des livres qui nous
viendraient à l'esprit pour ces maisons inconnues que l'on visite en
écrivant, j'ai pensé à Noë..
L'ai
pris en dînant... mais en fait, la Thébaïde à laquelle je pensais
– souvenir où s'invitaient d'autres passages du livre ou d'autres
– est un peu décevante... une fois passée la grille incongrue
dans une des petites rues sous Notre Dame de la Garde – à Marseille
bien sûr – elles sont étroites, tortes, bordées de
chaque côté d'échoppes et de magasins peu reluisants. Je restai
donc béat et pétrifié, la bouche ouverte quand, après le détour
de la rue, je tombai sur une grille en fer forgé, dorée du pied
jusqu'à la pique, de presque vingt mètres de large, portant en
ferronerie ornementée des massacres de cerfs et une forêt vierge de
feuillages d'acanthe. Un énorme écusson de bronze vert, de plus
d'un mètre de long, placardé dans les volutes d'or à plus de deux mètres de haut, proclamait en calligraphie de fondeur que c'était
la Thébaïde... après avoir
parcouru un jardin, un parc plutôt, merveilleux (un peu un cousin de
celui de la Belle et la Bête)
pendant trois pages et demie, on
arrive au pavillon où une chambre pourrait lui être louée.
C'était une porte de
derrière. En aucune langue il n'y a d'autre façon de désigner la
porte devant laquelle je me trouvais et que poussa la femme sèche.
C'était une porte de catimini,
de rendez-vous secret, d'enlèvement, de fuite ; une porte
de Calderon.... La porte s'ouvrit sur un long couloir ; à l'estime,
malgré l'ombre, on pouvait dire qu'il y avait dans les vint à
trente mètres ; autant qu'on en pouvait juger, il desservait sept à
huit portes. Celle de la chambre qu'on me destinait était la
première. On l'ouvrit. Aussitôt, comme si j'étais le roi des
batraciens, je fut salué, non seulement de volées de croassements
et de clouquements à bout portant et d'une sonorité étourdissante,
mais, comme la femme refermait la porte un peu fort, du bruit de
multiples plongeons dans de l'eau profonde ; à quoi succéda un
autre curieux silence.... Je m'avançai de la fenêtre ouverte et, en
effet, il y avait là, au ras des murs, le bassin le plus sinistre,
le plus sournois, le plus bouclé d'ombre que j'aie jamais vu. Alors
bien sûr il n'est pas tout à fait certain qu'il ait réellement
pénétré dans cette chambre, ni que soit tout à fait authentique
la suite, la nuit étrange, la puanteur du lit, les petites vieilles
en camisole, leur inquiétude quand à ce qu'était devenu le corps,
très avancé, de leur amie etc... ni la fin de la nuit, à la belle
étoile, sur la crête de calcaire, en haut du jardin, face à la
mer, puisqu'il nous emporte à sa suite dans ce qui est sans doute un
voyage plein de réminiscences, mais tel qu'il est en train de le
recréer, d'en faire ce livre.
Seulement,
comme en avaçant à grands coups de pages, à la recherche de la
Thébaïde, depuis le bureau de Manosque où il vient de finir
l'écriture d'un roi sans viertissement –
j'aime ces pages où les personnages, leurs actes tels que racontés
dans le livre, d'autres qui auraient pu l'être, se mêlent à la
description du bureau, les personnages descendant de cheval quelque
part derrière Giono écrivant et la route traversant le jardin sous
ses yeux, et bien d'autres choses – j'avais grande envie de le
reprendre et c'est ce que j'ai fait cet après-midi dans le square
(enfin pour la moitié environ du livre, et j'y ai trouvé d'autres
maisons, une étude de notaire qui est ou n'est pas réelle, mais
devrait l'être, adéquate aux désirs de terre des personnages
évoqués, et celle, dans un autre village, décrit dans un livre
sans y avoir pénétré, où sont entreposés à tort les cadastres
et s'ensuivent des pages sur le personnage qui les détient et rêgne
sur tous) et j'aurais tant à en dire, à partir de la cueillette –
non, le ramasage plutôt, comme on dit là, dans la joie d'en faire
amas - des olives joie de caresser cette peau poudrée, si
douce à la peau de mes doigts... Je suis collé des deux mains dans
cette glu d'olives. Que Dieu à l'instant même ferme le monde comme
un livre et dise : c'est fini ; que la trompette sonne l'appel des
morts, je me présenterai au jugement en caressant dans olives dans
mes poches) cueillette qui a
lieu en novembre, avant le voyage à Marseille (mais les durées, la
succession des lieux, actions évoqués n'ont rien de rigoureux, de
certain, suivent juste le déroulement de l'écriture) entrepris après la
fin du livre, pour retarder ce qui semble vouloir être une suite, et
qui ne sera pas..
Et
je réalise que, même si je me suis dit que je me plongeais ici dans
le souvenir de cette lecture pour moi seule, il est temps que je
m'arrête au seuil de ce départ, qui est retardé par tout ce que
pourraient faire encore les personnages du roi sans
divertissement, avant de suivre
le flux de ce qui s'écrit, qui est un voyage, mais aussi des
digressions, des histoires qui interviennent, souvenirs (Toulon,
l'enfermement au fort Saint Jean, des odeurs, une femme chaleureuse,
bien d'autres), ou possibles, comme les déplacements à travers les
rues de Marseille des passagers descendus du tram, qui est aussi, au
détour d'une phrase une réflexion sur l'écriture, et après une
visite d'amis au retour dans la maison de Manosque, pendant qu'il
étale la récolte d'olives sur les dalles, des personnages qui
viennent, qui commencent à vivre un livre, Noces, qui
ne sera pas écrit.
Pardon
demandé tout de même au derniers gentils lecteurs.
9 commentaires:
aime les passages en italique, mais surtout aussi non en italiques ;-) pour la langue et ce qu'elle suggère.Belle journée à vous.
euh.. (sourire) deux jours d'orages et pluie violente annoncés… mais bonne journée à vous
Un livre n'est-il pas une maison de prime abord inconnue et que l'on découvre en poussant la porte ?
Votre "maison", vous en avez déjà franchi le seuil, on dirait...
pour le moment suis découragée
(bon j'attends mes trois jours d'orage et de pluie.. on verra après et puis l'effort z des beautés, mais de nouveau envie de laisser tomber.. me passera sans doute)
plaisir de zieuter dans l'antre de la lecture-écriture-en-train-de-se-faire
on parle ici de digressions...souvent c'est justement ce voyage de l'esprit qui fait l'écriture puis la lecture prenantes
Des imaginaires où il est facile de changer les meubles et les ouvertures ,sorte de méditation en écriture qui fait du bien
Le jardin t'inspire
sais plus ce qu'il y a à la place de cette maison, mais j'ai un peu l'impression d'avoir été volée
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