Brigetoun, qui s'était
réfugiée sous couette un peu après sept heures pendant que règnait
dehors un froid de gueux, du moins à son avis (-6°), et que le
radiateur achevait de dégourdir l'air dans l'antre, est tombée
dans le monde vaguement conscient vers neuf et quart, affolée une
fois encore par le café à faire, les billets et tweets à lire, le
petit linge à faire tiédir devant le radiateur etc... la vie quoi
toute bête, et provisoirement quasi insurmontable pensais-je dans un
sourire.
Et puis, quand le calme
m'est revenu (bon sang comment ai-je pu assumer pendant des années,
plus ou moins bien, mais quasi normalement, une vie fort active...)
me suis installée devant un fichier et j'ai entrepris de répondre à
la proposition de François Bon (le #3 de l'atelier d'hiver «comment
j'ai fait» http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4735) pour vaincre l'impossibilité qui me turlupinait depuis le 15
février d'y répondre, et bien entendu n'ai pu que dire
l'impossibilité de le faire... envoyer pourtant ce qui vient
ci-dessous et qui s'est ajouté aux dix-huit précédentes
propositions, plus positives dans leur majorité – et quand ne le
sont pas, c'est à mon avis bien mieux formulé) sur
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4737
(un vingtième texte, texte d'une conteuse, que j'aime bien est venu
depuis)
Faire – puis-je faire ?
Ai-je fait ? autre chose que petite chanson fardée de petite facture
et petite vérité. Pourtant il y a eu ce plaisir des mots, cet
émerveillement des mots des autres, des grands, et j'ai été cette
petite pré-adolescente rendant deux devoirs en alexandrins sous les
compliments de la bonne-soeur-maîtresse, pour l'ébahissement mêlé
d'inquiétude et d'un peu de fierté de la mère, l'ironie de la
classe et ma honte. Pourtant il y a eu les histoires que me racontais
mais sans les écrire, surtout après avoir découvert qu'en cachette
ma mère avait lu un début de journal dont les élucubrations
pubères ne lui étaient pas destinées. Pourtant il y a eu mon refus
de me plier à des modèles dans mes annonces et réponses aux
propriétaires et locataires et la fierté secrète que certaines de
mes lettres deviennent lettres-type pour le cabinet. Et puis il y a
eu internet et le besoin de marquer la succession des jours pour ne
pas me désagréger dans la paix, la fin enfin atteinte de la vie sur
les rails du travail. Le plaisir retrouvé de ces notations, à moi
destinées, mais publiées pour me contraindre à poursuivre, sans
penser être lue, puisqu'il était évident que cela ne méritait pas
la moindre considération... et puis un reproche familial me
rappelant la politesse minimale du sourire, d'un peu de fard, pour me
garder de céder aux mots qui venaient, qui disaient les cris
étranglés, le sombre et la solitude, et le plaisir de noter les
petits émerveillements qui viennent, qui sont toujours venus
illuminer comme des flashs l'étrangeté du monde. L'aide qu'est
choisir ce regard, cette partie de ma réalité, puisqu'il n'était
pas question qu'il soit mensonge, mais était-ce écrire ou se
soigner ? L'habitude, un semblant de familiarité avec le faire, sans
grande illusion, au risque de la complaisance, d'un zeste
d'automaticité, de l'acceptation de ma médiocrité malgré la
certitude qu'humilité ne vaut que si elle s'accompagne d'exigence.
La surprise toujours renouvelée d'un accueil quel qu'il soit, qui
aide à poursuivre mais est-ce là faire ? Pourtant il y a eu les
ateliers d'écriture comme des défis, l'excitation d'y céder
parfois trop vite, ou de chercher, reprendre, tenter de croire que
l'on peut, creuser, finir par sentir ou croire que c'est fait, alors
faire le geste d'envoyer ce qui a été ainsi fait, geste
immédiatement regretté, avec plus ou moins de sincérité. Mais
voilà, il y a eu les phrases de Marguerite Duras et le projet de
dire ce qu'est faire pour moi en ayant en tête son oeuvre, celle de
certains, de la plupart des participants, l'incapacité de le faire,
incapacité devenue peu à peu obsession, alors commencer à faire,
renoncer et puis là, ce matin, me lancer, abandonner parce que cette
impossibilité n'a aucun intérêt, reprendre, modifier, revenir
parce que besoin de le faire, et faire, avec un sourire où entre
soulagement, le geste d'envoyer, tant pis si ce qui me tient lieu de
comment j'ai fait est trop lourd et un peu hors sujet.
Après un bon gros
déjeuner tardif, comme la température était devenue positive (pas
énormément mais tout de même), comme on annonce adoucissement mais
risque de neige pour mercredi et qu'en ce cas veux me borner à voir
celle qui viendra jusqu'à ma cour, comme, depuis mardi dernier je
crois, commande a été passée
par la mémoire du Monde de la Corderie de Christophe Grossi j'ai
capelé ma parka sur deux gros chandails, enfoncé mon bonnet presque
jusqu'aux sourcils, mis un peu de rose sur mes lèvres pour parfaire le
tableau et, poings au fond des poches, m'en suis allée dans
l'éblouissement des rues
carrefours en
vent
mettent
poignard dans les yeux
vertige en
bleu
le livre
n'était pas arrivé, suis passée à côté par le petit supermarché
Carrefour de la place Pie, n'ai rien trouvé de ce que voulais, ai
tout de même ramené de quoi compléter mes réserves pour ne pas
être obligée de sortir avant le milieu de la prochaine semaine, au
moins, m'arrêtant un moment dans les rues non ventées pour essuyer
mes yeux, affermir mon pas et me moquer de moi.
deux tasses
d'un bon thé noir à l'anis et au réglisse... la nuit est tombée, et, après le jardin toulonnais sous la neige chez Arlette Arnaud, j'ai vu
une très belle photo d'une roue de la rue des teinturiers garnie de
glace sur la page Facebook de Caroline Gérard.
10 commentaires:
Pour notre ami commun le faire c'était tendre les mains et ramasser les mots qui tombaient comme la pluie
Votre texte est beau, émouvant
notre ami commun était un magicien
Écrire sur l'impossibilité d'écrire c'est comme filmer le "presque rien" : il en sort toujours quelque chose... Les mots ou les images s'entraînent logiquement dans une concaténation à llaquelle on n'avait pas pensé auparavant : c'est pratique !
Le froid "ressenti" (nouvelle lubie à la mode copiée sur les chaînes de TV américaines) commence à nous bassiner : je me demande si ce sera pareil pour la chaleur attendue... en été ! :-)
Magnifique, Brigitte ! Et magnifique Brigitte...
Ici moins 10 degrés ce matin, on ne peut que vous conseiller de rester sous la couette jusqu’a Vendredi où l’on annonce 15 degrés. Il faut bien qu’hiver se passe...
Dominique un grand merci - oui écrire sur l'impossibilité d'écrire (mais pas si facile finalement)
quand au ressenti j'aimerais ne pas le ressentir, mais le ressentant ça me soulage un peu de voir que suis pas seule (alors par pitié pour les frileuses c'est pas si mal)
Lucien, oh ! là j'ai un moral qui grimpe (sourire)
Marie-Christine, y a tout de même se passer du Canard… bon vais m'y résigner
Quand le besoin de relire certains passages d'un texte se fait, c'est que celui-ci est bon, très bon. Vous pensiez être passée à côté alors que vous avez visé le cœur en plein dans le mille.
Le pouvoir des mots .c'est toi la Magicienne du Palais des illusions
Ciel noir et voilà maintenant le vent qui grogne dans le cyprès
Godart mis dix jours à le ruminer sans oser, alors… bon vous remercie pour l'accueil qui me réconforte (pensais risque d'indécence et de trop d'importance à moi donnée)
Arlette, je me console honteusement de mon petit tremblement frigorifié (quoique là après deux gros toasts et plein de miel ça commence à s'améliorer) en pensant à c sue vous subissez (pas bien)
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