Café, confiture de
rhubarbe rouge au gingembre, lavage de cheveux, et après
l'intéressante vidéo de François Bon (sa chaine YouTube) sur
Nathalie Sarraute en frottant meubles et repassant pantalons et
chandails, ai écouté, sur le conseil de Piero Cohen Hadria, sur le
site du Collège de France, la leçon inaugurale de Didier Fassin,
titulaire de la chaire d'Anthropologie de la santé publique
l'inégalité des vies (et même si j'ai parfois connu,
brièvement, parce qu'étaient locataires – j'avais «le haut et le
très bas du panier», des gens squattant les chambres de bonnes des
immeubles très modestes près des grands boulevards – pour passer
ensuite au quartiers aisés ou franchement opulents – et si on
voit, et devine, ce que fut, ce qu'est encore la vie des familles et
jeunes de Rosmerta, avec des réactions, des détails qui parlent en
silence, la fermeté implacable, l'ampleur du constat vaut le coup,
si le pouvez, de prendre le temps de l'entendre)
Au surplus, faisant fi de
l'état de mes jambes et de l'estime vacillante que j'ai parfois de
moi pour petites choses, me suis vautrée dans ma veulerie et ne suis
pas sortie...
Et pour faire un petit
écho aux inégalités et aux vies, reprends ma contribution au #2 de
l'atelier «personnages» du tiers livre
https://www.tierslivre.net/ateliers/category/un-hiver-personnages/personnages-2-saint-john-perse/
(vidéo de François Bon https://youtu.be/y64WwoGS5ug)
elles d'avant
moi (quelques)
Celle qui était toute
petiote, toute jeunette, enfantelette, avec son premier bonnet à
barbes de dentelles blanches, quand l'a prise et épousée, dans la
chapelle au dessus de la mer violette, son matelot, le veuf en mal
d'enfant, celle qui, elle, lui en a donné de beaux et même des qui
ont vécu, et qui riait et lavait à grande eau les tomettes quand il
s'approchait sans qu'elle le veuille ; celle qui, lorsqu'elle fut
veuve, a maintenu sa famille en peignant sur des médaillons les
dames et les beaux messieurs et qui a attendu, une barre entre les
sourcils mais sans trembler assurait-elle, dans son logis qu'elle
voulait bourgeois, près de Saint Jean, son tout jeune fils qui
s'était embarqué pour les îles comme secrétaire sur le bateau
d'un généreux ami négociant et en ramena les images presque rêvées
dont il se servi pour peindre pour le compte d'un industriel le
premier de ces papiers-peints panoramiques qui furent tant à la
mode, dont la maquette est conservée dans un musée de la ville ;
celle qui, longtemps fille et pourtant pas si laide, quitta enfin les
casseroles de son farinier de père pour son farinier de mari, éleva
tendrement la fille d'un premier lit, lui fit prestement trois
enfants avec lesquels survécut à Noirmoutier, en grands coups de
gueule, baisers, courage et bras retroussés quand il eut la sottise
de mourir un peu trop tôt ; celle qui fit quelques pas dans la rue,
vers la petite maison voisine, pour épouser un jeune ami de son
père, travailleur agricole comme lui, tout juste veuf, fut toujours
un peu souffreteuse, ou paresseuse disaient les mauvaises langues,
éleva quatre enfants et vécut plaintive mais affichant bien entendu
un courageux sourire récompensé par des attentions et assistances,
jusqu'à un âge alors inusité ; celle qui portait un nom chantant
la tarentelle, ou en tout cas l'italien, qui, à 24 ans, quelques
mois après son premier veuvage, rencontra, séduisit, aima un jeune
marin d'état venu de sa Vendée à Toulon, et longtemps après sa
disparition régna dans son quartier près de la cathédrale, veuve
estimée d'un premier maître, mère respectée de cinq enfants qui,
oui, ma bonne dame, réussissaient plutôt bien, savez vous ; celle
qui dans sa vallée sinuant entre montagnes rocailleuses dit très
tôt adieu à son enfance, travailla et fit enfants comme sa mère ;
celle qui abandonna son étal au marché pour épouser un charpentier
de marine, qui traversa avec lui la mer pour chercher une vie plus
large ; celle qui à un an s'embarqua, elle aussi, avec ses parents,
qui fut repasseuse, femme d'un mécanicien des ateliers de marine et
donna naissance à son premier fils dans un petit logis ouvrant sur
le tunnel de l'amirauté ; celle qui avait la taille fine et un aigu
visage souriant sous son chapeau de paille et son ombrelle
lorsqu'elle marchait le long de l'allée de peupliers de sa maison de
campagne, qui aimait accompagner au piano sa fille violoniste forcée
et de meilleurs interprètes pour des soirée de musique sur la
terrasse ou dans son salon en ville, et qui ne tolérait pas qu'un ou
des hommes, quelle que soit leur autorité officielle, prétendent
entraver son chemin ; celle qui était la cinquième d'une série de
sept filles, qui se maria tard, eut trois fils dont elle était
encore plus fière que son mari, vieillit, veuve, dans une moitié de
leur grand appartement ouvrant sur un jardin botanique, aimait les
rubans de cou comme la reine Mary et les pastilles à la violette
comme je ne sais qui, qui ne se conforma pas à la règle en
survivant à la sixième et septième des soeurs mais mourut quelques
jours avant son centenaire, libérant ainsi l'ainée de ses brus, qui
ne s'était jamais plaint si ce n'est des fugues qu'elle faisait dans
l'effervescence des rues lors de l'indépendance enfin conquise du
pays.
10 commentaires:
Merci pour le lien et le personnage
merci Marie Christine au nom Des personnages (sont différentes et assez nombreuses, avec des vies et des moyens qui n'ont pas grand chose à voir, sauf les enfants puisque sont membres des lignées dont je sors)
la saga de la smala
lignée plébéienne et lignée bourgeoise… que des trop anciennes pour les avoir connues, alors réinventées, sauf un peu les dernières
Des veuves qui traversent la vie sans faillir. Beaucoup d'embruns marins et de terroir. Votre très beau texte me fait penser à Marguerite Yourcenar qui pour moi est l'écrivaine de la lignée.
Merci à vous de m'avoir lue
Belle page en vies et tiraillements intérieurs qui en fait sa richesse
Belle évocation....
Quant au Collège de France, qui doit nous "coûter un pognon de dingue", il serait bien de songer à le supprimer rapidement, avec l'ENA on pourrait en faire un "package" reversant ainsi des "points" dans le système miraculeux des retraites selon le Sire Macron. :-)
Philippe merci pour votre commentaire que j'au cru voir et que j'ai malheureusement supprimé dans ma maladresse de retour épuisé - pardonnez moi
Arlette, merci à toi
Dominique en le mariant comme l'ENA avec l'Ecole de la magistrature ? l'imagination des marcheurs n'a pas de limite
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