commentaires

désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

lundi, janvier 20, 2020

Et toutes ces vies

Café, confiture de rhubarbe rouge au gingembre, lavage de cheveux, et après l'intéressante vidéo de François Bon (sa chaine YouTube) sur Nathalie Sarraute en frottant meubles et repassant pantalons et chandails, ai écouté, sur le conseil de Piero Cohen Hadria, sur le site du Collège de France, la leçon inaugurale de Didier Fassin, titulaire de la chaire d'Anthropologie de la santé publique l'inégalité des vies (et même si j'ai parfois connu, brièvement, parce qu'étaient locataires – j'avais «le haut et le très bas du panier», des gens squattant les chambres de bonnes des immeubles très modestes près des grands boulevards – pour passer ensuite au quartiers aisés ou franchement opulents – et si on voit, et devine, ce que fut, ce qu'est encore la vie des familles et jeunes de Rosmerta, avec des réactions, des détails qui parlent en silence, la fermeté implacable, l'ampleur du constat vaut le coup, si le pouvez, de prendre le temps de l'entendre)
Au surplus, faisant fi de l'état de mes jambes et de l'estime vacillante que j'ai parfois de moi pour petites choses, me suis vautrée dans ma veulerie et ne suis pas sortie...
Et pour faire un petit écho aux inégalités et aux vies, reprends ma contribution au #2 de l'atelier «personnages» du tiers livre https://www.tierslivre.net/ateliers/category/un-hiver-personnages/personnages-2-saint-john-perse/ (vidéo de François Bon https://youtu.be/y64WwoGS5ug)
elles d'avant moi (quelques)
Celle qui était toute petiote, toute jeunette, enfantelette, avec son premier bonnet à barbes de dentelles blanches, quand l'a prise et épousée, dans la chapelle au dessus de la mer violette, son matelot, le veuf en mal d'enfant, celle qui, elle, lui en a donné de beaux et même des qui ont vécu, et qui riait et lavait à grande eau les tomettes quand il s'approchait sans qu'elle le veuille ; celle qui, lorsqu'elle fut veuve, a maintenu sa famille en peignant sur des médaillons les dames et les beaux messieurs et qui a attendu, une barre entre les sourcils mais sans trembler assurait-elle, dans son logis qu'elle voulait bourgeois, près de Saint Jean, son tout jeune fils qui s'était embarqué pour les îles comme secrétaire sur le bateau d'un généreux ami négociant et en ramena les images presque rêvées dont il se servi pour peindre pour le compte d'un industriel le premier de ces papiers-peints panoramiques qui furent tant à la mode, dont la maquette est conservée dans un musée de la ville ; celle qui, longtemps fille et pourtant pas si laide, quitta enfin les casseroles de son farinier de père pour son farinier de mari, éleva tendrement la fille d'un premier lit, lui fit prestement trois enfants avec lesquels survécut à Noirmoutier, en grands coups de gueule, baisers, courage et bras retroussés quand il eut la sottise de mourir un peu trop tôt ; celle qui fit quelques pas dans la rue, vers la petite maison voisine, pour épouser un jeune ami de son père, travailleur agricole comme lui, tout juste veuf, fut toujours un peu souffreteuse, ou paresseuse disaient les mauvaises langues, éleva quatre enfants et vécut plaintive mais affichant bien entendu un courageux sourire récompensé par des attentions et assistances, jusqu'à un âge alors inusité ; celle qui portait un nom chantant la tarentelle, ou en tout cas l'italien, qui, à 24 ans, quelques mois après son premier veuvage, rencontra, séduisit, aima un jeune marin d'état venu de sa Vendée à Toulon, et longtemps après sa disparition régna dans son quartier près de la cathédrale, veuve estimée d'un premier maître, mère respectée de cinq enfants qui, oui, ma bonne dame, réussissaient plutôt bien, savez vous ; celle qui dans sa vallée sinuant entre montagnes rocailleuses dit très tôt adieu à son enfance, travailla et fit enfants comme sa mère ; celle qui abandonna son étal au marché pour épouser un charpentier de marine, qui traversa avec lui la mer pour chercher une vie plus large ; celle qui à un an s'embarqua, elle aussi, avec ses parents, qui fut repasseuse, femme d'un mécanicien des ateliers de marine et donna naissance à son premier fils dans un petit logis ouvrant sur le tunnel de l'amirauté ; celle qui avait la taille fine et un aigu visage souriant sous son chapeau de paille et son ombrelle lorsqu'elle marchait le long de l'allée de peupliers de sa maison de campagne, qui aimait accompagner au piano sa fille violoniste forcée et de meilleurs interprètes pour des soirée de musique sur la terrasse ou dans son salon en ville, et qui ne tolérait pas qu'un ou des hommes, quelle que soit leur autorité officielle, prétendent entraver son chemin ; celle qui était la cinquième d'une série de sept filles, qui se maria tard, eut trois fils dont elle était encore plus fière que son mari, vieillit, veuve, dans une moitié de leur grand appartement ouvrant sur un jardin botanique, aimait les rubans de cou comme la reine Mary et les pastilles à la violette comme je ne sais qui, qui ne se conforma pas à la règle en survivant à la sixième et septième des soeurs mais mourut quelques jours avant son centenaire, libérant ainsi l'ainée de ses brus, qui ne s'était jamais plaint si ce n'est des fugues qu'elle faisait dans l'effervescence des rues lors de l'indépendance enfin conquise du pays.


10 commentaires:

Marie-Christine Grimard a dit…

Merci pour le lien et le personnage

Brigetoun a dit…

merci Marie Christine au nom Des personnages (sont différentes et assez nombreuses, avec des vies et des moyens qui n'ont pas grand chose à voir, sauf les enfants puisque sont membres des lignées dont je sors)

Claudine a dit…

la saga de la smala

Brigetoun a dit…

lignée plébéienne et lignée bourgeoise… que des trop anciennes pour les avoir connues, alors réinventées, sauf un peu les dernières

Godart a dit…

Des veuves qui traversent la vie sans faillir. Beaucoup d'embruns marins et de terroir. Votre très beau texte me fait penser à Marguerite Yourcenar qui pour moi est l'écrivaine de la lignée.

Brigetoun a dit…

Merci à vous de m'avoir lue

arlette a dit…

Belle page en vies et tiraillements intérieurs qui en fait sa richesse

Dominique Hasselmann a dit…

Belle évocation....

Quant au Collège de France, qui doit nous "coûter un pognon de dingue", il serait bien de songer à le supprimer rapidement, avec l'ENA on pourrait en faire un "package" reversant ainsi des "points" dans le système miraculeux des retraites selon le Sire Macron. :-)

Brigetoun a dit…

Philippe merci pour votre commentaire que j'au cru voir et que j'ai malheureusement supprimé dans ma maladresse de retour épuisé - pardonnez moi

Arlette, merci à toi

Brigetoun a dit…

Dominique en le mariant comme l'ENA avec l'Ecole de la magistrature ? l'imagination des marcheurs n'a pas de limite